Lettre reçue par le peintre NATO le mardi 14 octobre 2008


L’Art & la morale

Tristoc -  Paris.

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Peintre NATO, salut                                                   

J'ai bien reçu ton courrier : comme quoi, tes lettres passent plus facilement au travers de la censure on dirait. Par précaution, je te réponds par mail: c'est plus compliqué que par la poste mais au moins tu pourras plus facilement réutiliser ce que je t'écris si tu en as besoin. Bref. En tout cas, je tenais d'abord à  te remercier pour cette longue conversation au Nord/Sud. Je n'ai pas encore commencé à  me plonger dans les CD, DVD et livres que tu m'as remis car j'attends d'avoir le temps devant moi pour le faire sérieusement. en revanche, j'aimerais revenir quelques points qui sont régulièrement soulevés à ton égard.

Enroballage du Peintre Nato, happening

L'une des remarques qui revient le plus souvent à  propos de ton travail, c'est le fait que tes happenings (et tout le reste aussi d'ailleurs) ne se limitent qu'à  être une basse excuse pour trifouiller des chattes et te faire tripoter à l’œil sous prétexte de faire de l'art.

Or il me semble qu'un sordide et solide malentendu sous-tend cette accusation méprisante: en effet, on te traite à  demi-mots ou a mots-entiers, de pervers en te reprochant tes exhibitions fallacieuses et tes attouchements suspects alors qu'à  mon sens tous ces gestes-là  font absolument et précisément partie de ta peinture. Clairement, en réfléchissant un tant soit peu, ce jugement paraît aussi aberrant que d'accuser Van Gogh de mettre du bleu ou du jaune sur une toile pour "faire peintre". Voilà  qui est parfaitement grotesque : il se trouve que tu as choisi d'axer ton oeuvre sur le travail de la nudité et tout ce qui va avec, il s'avère de ce fait parfaitement évident que dans tes happenings tu en viennes à  te foutre à  poils et à  faire intervenir la sexualité, puisque qu'il s'agît de ton sujet et de ta matière : tu peins la nudité avec des femmes nues, des bites avec ta bite, des léchages de moules avec ta langue et le sexe de ces dames, et je ne vois pas ce qu'il peut y avoir d'incohérent là -dessous. Tu mets en scène toutes ces choses-là, exactement de la même manière que Cézanne mets en scène ses pommes & ses poires ou Yves Klein son bleu.

Ce qui semble choquer tes détracteurs c'est le rapport que ton travail entretient avec la réalité et la confrontation avec le tabou que demeure la sexualité. Sans doute font-ils en privé tout ce que tu fais-toi sur scène (des bisous, des tripotages, des coïts, etc..)

Mais ce qui les embêtent c'est que tu les fasses « au grand jour » avec la prétention d'être un artiste et non pas un pornographe, ce qui, paradoxalement, les rassurerait.


Or il faut avoir une mauvaise foi bien aveugle pour affirmer Benoîtement que tes happenings se limitent à de l'exhibitionnisme, alors qu'ils ne sont visibles que par des happy-few, et encore, même pas toujours ou bien après coup via des photos ou des vidéos.

En vérité, tu travailles aussi seul qu'un peintre dans son atelier, sauf que ta forme est plus vivante, donc jugée "spectaculaire" (je dirais même "monstrueuse" dans l'acceptation "montrer" du terme) et c'est de là  que vient le malentendu.

Alors qu'ils demeurent pourtant très peu nombreux ceux à qui il a été donné de voir ce que tu fais, exceptions faites par la diffusion de rares reportages, plus ou moins pervertis, circulant sur toi à la télévision ou sur Internet ce procès d'intention n'a donc aucun sens.

Dans la mesure où ce que tu fais s'avère être, médiatiquement parlant, fortement confidentiel comment peut-on t'accuser de profiter de la figure, soit disant usurpée, d'artiste.

Alors qu'il est évident que tu n'en jouis pas publiquement et que tu ne t'en sers aucunement comme d'un ascenseur social ni comme d'une posture d'artiste. Après tout, si ton "truc" ne se limitait qu'à  tâter de la chair féminine, tu n'aurais absolument pas besoin de te cacher derrière l'art, sinon tous les partouzeurs seraient des artistes.

À croire aussi, dans toutes ces attaques, que tu dupes tes modèles en te faisant passer pour un créateur alors que tu serais un charlatan cherchant à couvrir son délire libidineux. Charmante attention, mais qui leur dit que ces femmes n'y trouvent pas elles aussi leur compte. Et quel mal y aurait-il donc à se laisser tripoter ainsi ?

Le problème c'est tout simplement la "bonne" morale, qui rend ton oeuvre obscène aux yeux du tout venant, plutôt habitué à  la simple pornographie pourtant infiniment plus vulgaire ce qui n'est d'ailleurs pas un jugement de valeur.

En gros, on t'accuse de la même chose que Courbet, au siècle précédent, avec son Origine du monde, à  la différence près que lui est exposé aujourd'hui au Musée d'Orsay, simplement parce que sa peinture, elle, est sur une toile, ce qui doit paraître plus respectable à  la plèbe.

Le problème viendrait donc, aussi, tout bêtement du support; mais le jour où ceux-là  comprendront, comme ton nom l'indique pourtant de façon limpide, que ce que tu fais C’EST de la peinture, de la peinture vivante totalement sortie de la toile, sans doute leur jugement ou plutôt celui de leurs descendants, aura évoluée.

À  moins que la pudibonderie s'acharne à  faire de la résistance. Car de nos jours, à une période que l'on dit "libérée" au niveau des mœurs, le sexe se retrouve pourtant enfermé dans des cases clairement définissables comme celle de la pornographie. Cette malheureuse case, classée X, s'avère très pratique dans la mesure où, une fois définie, on peut y ranger tous les tabous autorisés. À  partir de là, il n'y a plus de problème, c'est accessible à tout le monde: on sait que c'est porno, tout le monde comprend ce que c'est et peut même s'y retrouver, s'identifier quant à sa propre sexualité. Et comme, bien entendu, ça excite tout le monde, tout ça redevient tout ce qu'il y a de plus banal bien qu'encore difficilement avouable.

Dès lors, on voit du cul dans tous les films, et un magasine sur deux, toutes disciplines confondues, place savamment en caractère gras le mot "seXe" pour faire vendre ; et là  ça passe.

Seulement il suffit qu'un bonhomme, vieux maintenant, se trimballe nu dans la nature ou dans des galeries même pas branchées, transportant des dames toutes aussi nues, là  ça ne passe plus, parce que précisément ça les dépasse: la forme artistique a outrepassé le phénomène d'identification, ce n'est plus de la simple pornographie, on ne comprend plus où le peintre NATO veut en venir, ce n'est plus tolérable.

À partir de là  il faut que ça devienne ridicule, méprisable et pour tout dire désArtifié, pour qu'enfin on puisse prendre position, celle de supériorité de préférence, car il serait à tout le moins invivable d'accepter une oeuvre que l'on rejette moralement et que l'on ne comprend pas: ce serait admettre un échec intellectuel et/ou émotionnel.

Par ailleurs, il est clair que le malentendu découle notamment du degré avec lequel il faut appréhender ton oeuvre: comme tu le dis très bien, ta démarche artistique s'inscrit pleinement dans l'histoire de l'art: quand la peinture a commencé à s'extraire de la toile avec Cézanne, menant au ready-made de Marcel Duchamp (je raccourcis à  l'extrême), jusqu'à  toi où la peinture est enfin totalement sortie de la toile.

Tout ce cheminement fait donc appel à une certaine culture qu'il est important d'avoir afin de découvrir ce que tu fais sous le bon angle. Une fois cela accepté, l'appréhension de ta peinture s'en retrouve facilitée dans la mesure où ce que tu peins n'est pas en soi complexe: tes sujets sont simplement du nu, des poses ou des gestes érotiques, mais aussi, il ne faut passer outre même si les spectateurs s'arrêtent aux poils parce que ça les arrange dans leur jugement, mais aussi donc la fatigue, l'effort, le temps, etc.. En fait des choses très "primaires", très concrètes, très simples et pas du toute tirées par les cheveux.

Au final tout cela est plus physique qu'intellectuel, même pour ce qui est de ta musique. Cependant il semblerait qu'une grande part du public ne sait plus ressentir ces choses-là, d'une part parce que la culture de masse est radicalement entrain de saboter le champ des émotions, exactement comme les nazis déshumanisaient les prisonniers des camps de la mort. Le regard critique et l'éveil au monde se perdent progressivement, bien qu'il demeure d'une certaine manière une sorte de résistance à l'abrutissement: on ne peut, en effet, nier l'existence d'une élite s'intéressant beaucoup, et sincèrement, à l'art contemporain. Sauf qu'il semble résider ici, encore une fois, un malentendu puisqu'il s'agît plus dans ce cas de culture que d'art.

Et il suffit qu'on fasse intervenir là-dedans un élément qui met en jeu la morale, comme peut le faire le sexe, alors là  tout est faussé et les mêmes érudits deviennent subitement des béotiens, perdent leur acuité, leur regard, qu'ils n'ont sans doute jamais profondément eu, pour se retrancher de façon très snob derrière une certaine conception de la grandeur, afin de mieux t'enfoncer toi puisqu'ils ne comprennent pas ton travail ou ne s'en donnent pas la peine, ou ne veulent pas s'en donner la peine, et que ça les rendrait fous d'admettre qu'ils ne le comprennent pas.

Lauranne et un autre modèle, happening du Peintre Nato


Quoi qu'il en soit, ton cheminement artistique est donc parfaitement cohérent et moderne, et ce tout en ayant des sujets très simples, presque basiques tout en traitant de fondamentaux de l'histoire de l'homme. Or les fâcheux s'entêtent, au contraire, à prendre tout à l'envers en jugeant ta posture au plus simpliste et tes sujets pour conceptuels et abscons comme si tu voulais y cacher le primaire de ta réflexion. À partir de là, vous ne parlez pas le même langage et l'échange sont impossible; exactement comme lorsque Vergès évoque son concept de "procès de rupture". Toi tu évolues dans l'art et l'essence de la peinture, tandis qu'eux stagnent dans la culture et la morale de la pensée juste.

Car derrière tout ça, il y a donc, c'est évident, une question de morale, celle qui fait la différence entre la pornographie acceptée parce gérée intellectuellement, et tes happenings artistiques dont la réflexion et la puissance ne peuvent pour lors être maîtrisées.


Que ce soit d'ailleurs par tes détracteurs comme par ceux qui vantent ton travail, car avec ces derniers aussi réside un malentendu: En effet, il faut bien admettre que parmi ceux qui disent suivre le peintre NATO et aimer ce qu'il fait, il y a un nombre certain qui s'arrêtent aussi au côté spectaculaire de la nudité et prennent juste le côté potache que ça peut induire sans rien comprendre de ce que tu fais en réalité, sans en saisir les enjeux artistiques, sans rien ressentir de profond.


Ces imbéciles ne valent pas mieux que les autres puisqu'ils ne voient rien et stagnent à la surface du mec à poils, affichant le même snobisme que le commun de tes détracteurs, mais inversé, c'est-à-dire celui de montrer qu'on aime un artiste underground qui choque les bourgeois.

Comme si la valeur d'un artiste ne se limitait qu'à sa position dans le jugement de l'échelle sociale ou intellectuelle ? L’histoire a montré que cette relation existe très fortement mais elle ne peut raisonnablement pas se réduire à un facteur qualitatif. Au final, je crois que ces "fans" sont tout aussi moralistes que les autres parce qu'ils ne reçoivent du nu que tu proposes que sa conception morale justement, sans y voir une quelconque forme de beauté, semble-t-il. Or, lorsqu'on déambule dans n'importe quel musée d’œuvres antiques et que l'on croise le chemin de quelque vénus ou apollon joliment dénudé, il ne nous vient pas à l'esprit de faire intervenir dans notre perception cette notion de morale. La différence avec ces "innocentes" statues c'est que toi tu touches "en vrai" (comme si la sculpture et la peinture n'étaient pas "en vrai") tes modèles. Mais après tout, une fois que l'on a admis que ton travail était strictement du domaine de la peinture, il n'y a plus à se poser la question du fondement de ce que tu fais. On revient la dessus; La nudité, ça existe, tu la peins. La masturbation, ça existe, tu la peins. Caresser des seins, ça existe, tu le peins. Lécher des sexes, ça existe, tu le peins. Et encore ne peins-tu pas que ça puisque ton travail tourne aussi souvent autour de l'effort physique ou de la valeur du temps, par exemple. Mais en tout cas tu peins ces premières choses devant lesquels les sots s'arrêtent. Or ce sont des sujets très communs, quotidiens même, banals, voir très beaux pour tout dire. Et on ne retient jamais que ton oeuvre, foisonnante, est dans son ensemble très positive dans l'esprit. Tous ces sujets sont positifs, la sexualité est censée être positive dans l'épanouissement qu'elle peut amener. On a réussi à la caser dans la pornographie avec tous les aspects négatifs qui l'ont entaché, et toi tu parviens à la mettre en scène, à la peindre, en te dégageant totalement de l'esprit du X pour en revenir à quelque chose de plus pictural, et l'on continue à stigmatiser ce que tu fais, comme si, au bout du compte, on stigmatisait à nouveau la nudité, la masturbation, les caresses, la sexualité tout entière de ces choses positives on en refait des choses négatives puisqu'elles sortent des normes dans lesquels on les avait sagement rangés dans la pornographie De même que le côté positif de ton oeuvre artistique est rendu négatif puisqu'il sort des normes que la culture admet pour l'instant.

En somme, on attaque ta posture d'artiste pour mieux museler l'expression de la sexualité. Et voilà  comment se fabriquent l'orthodoxie et la morale.

Mais ceux qui protègent cette morale, consciemment ou non, se battent pour un présent qui pourrit à mesure que les artistes l'abandonnent pour en créer un autre.

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